D’abord , depuis ma tendre enfance , je suis restée allergique à la fumée de tabac; son odeur me donne la nausée et des violentes céphalées suivies parfois de vomissements et de vertiges. Une antipathie totale alors avec le tabac.
Ensuite, Ma carrière d’enseignante-chercheure a largement contribué à élargir mes connaissances dans les domaines des toxicomanies, alcoolisme et tabagisme.
C’est en réalité, ce qui a fait que depuis 1987, je m’investis dans la lutte contre le tabagisme et les autres toxicomanies par la Recherche-Action , les conférences, les tables rondes, les séances de sensibilisation à travers les canaux traditionnels et modernes de communication.
Q1. Dans un récent entretien, le Dr Bakary Sidiki Sylla évoquait la croissance du tabagisme et des cancers du poumon en Guinée. Quel est votre jugement sur la situation du tabagisme en Guinée aujourd'hui? La prévalence chez les adultes semble élevée.
Dr Thierno Fatoumata Oury Diallo: Je dois, tout d’abord, vous exprimer toute ma gratitude pour cette opportunité que vous me donnez pour m’exprimer sur ce sujet préoccupant de notre continent.
Revenant ensuite à votre question, je dirais que le Dr. Bakary Sidiki Sylla n’a fait que confirmer ce qui était connu et dont on ne parlait pas beaucoup ou dont on ne parlait pas assez.
N’ayons pas peur de le dire, le tabagisme est un phénomène réel en Guinée, comme dans les autres pays d’Afrique. Oui, les jeunes de ce pays ne sont pas à l’abri de l’agression orchestrée par l’industrie du tabac.
En effet, les quelques données existantes confirment que la Guinée paye lourdement aujourd’hui les conséquences de plusieurs années d’absence de lutte antitabac.
Il suffirait juste de voir les résultats des différentes
recherches menées par le Ministère de la Santé à travers ses services techniques tels que :
- la Division
Promotion de la Santé et le Service National de la Santé Scolaire
et Universitaire,
- la Direction
Nationale de la Santé Publique en collaboration avec l’OMS/Guinée
« ENQUETE SUR LE TABAGISME EN MILIEU SCOLAIRE A CONAKRY » en Avril 2001,
par exemple, et
- la
‘’FOGUIRET’’ entendez la
Fondation Guinéenne pour la Recherche sur la Toxicomanie
dans les domaines de la drogue, de l’alcoolisme et du tabagisme notamment
à travers l’Enquête sur la consommation de drogue à Conakry :
fréquence ; raisons, impact social et solutions 1999 - 2002.
.
-
Et l'Etude de la consommation du tabac dans la
région administrative de Labé menée en
2000-2002.
Ces études et celles qui les ont précédées ont montré que le tabagisme concerne plus de la moitié de la population guinéenne (57,6%).
On compte 8,6% de femmes dans le lot des fumeurs…. et, chez les adolescents , 30% des fumeurs ont commencé entre 10 et 15 ans (Enquête de 1998)
Entre 1990 et 1997 , le marché du tabac a connu une croissance estimée à 23,5%, au même moment, la quantité de cigarettes fumées augmentait de 3,28% en moyenne.
Au courant de cette période, le marché national de la cigarette présentait un flux financier estimé à environ 36 milliards de Francs Guinéens et la contribution fiscale au caisse de l’État à 20 milliards de francs Guinéens par an selon le Ministère du Commerce et la Douane.
Le flux financier en lien avec le tabac est alors très important en Guinée et les conséquences ne peuvent être que , évidemment , proportionnelles.
Aussi, la relation entre le tabac et autres drogues chez les adolescents et jeunes revêt une importance capitale, 54,46% des jeunes fumeurs ont consommé une fois au moins la drogue.
Le tabagisme est aussi en Guinée la porte d’entrée vers d’autres drogues plus fortes et aussi dangereuses.
Voilà ce qui, entre autre, confirme les propos de mon compatriote et collègue et qui justifie notre engagement dans la lutte antitabac depuis plusieurs années.
Q2. Pouvez-vous présenter la structure de l'industrie du tabac en Guinée? Les multinationales sont-elles présentes?
Dr Thierno Fatoumata Oury Diallo: Comme je le soulignais plus haut, la Guinée n’est pas épargnée par les multinationales de tabac qui rivalisent d’ardeur pour acquérir, maintenir et accroître leur clientèle au profit de ce produit toxique.
De 1965 à 1984, l’industrie nationale du tabac s’est résumée à une unité de production en l’occurrence l’Entreprise Nationale des Tabacs et Allumettes de Guinée (ENTAG). Elle faisait partie des premières unités industrielles installées en Guinée après l’indépendance.
Elle a bénéficié d’un monopole de marché pendant toute la période de la première République, en occurrence entre 1967 et 1984.
Après le changement de cap en 1984, avec l’ouverture du pays à l’économie de marché, l’industrie du tabac fut fermée en même temps que les autres en attendant la phase de la privatisation. Entre temps, le marché est ouvert sans limitation et les multinationales sont arrivées en grandes reines, sans aucune restrictuction.
C’est pour cela, qu’il n’est pas surprenant de voir des panneaux géants, vantant plutôt la cigarette ou telle marque dans les villes guinéennes. Ce qui n’est pas sans effet sur la jeunesse qui, dans l’ignorance et la naïveté,se laisse influencer par des propos mensongers.
Je vous épargne des sottises balancée à la face de notre jeunesse.
Par ailleurs, je ne pourrais passer sous silence les autres facteurs tels que :
- la contrebande rendant disponible le produit à bon marché.
- l’inexistence de la loi …
- l’absence d’un programme soutenu et cohérent de lutte antitabac … etc…qui favorisent l'accropissement du fléau chez nous.
Aujourd’hui, plus que jamais, une action s’impose afin de préserver nos populations des conséquences incommensurables du tabagisme.
Q3. La Guinée a signé la Convention Cadre pour la Lutte Antitabac en avril 2004 mais ne l'a pas encore ratifiée.Pensez-vous que la ratification pourrait survenir prochainement? Quelle est aujourd'hui la situation de la Guinée en ce qui concerne la réglementation du tabagisme?
Dr Thierno Fatoumata Oury Diallo: Effectivement, la Guinée a signé la C.C.L.A.T. le 1er Avril 2004.L’Assemblée Nationale a statué depuis 2005. Malheureusement, mon pays n’est pas encore allé jusqu’au bout de la logique c’est-à-dire que la Guinée n’a pas encore procédé à sa ratification.
La FOGUIRET après plusieurs années de travail sur le terrain, a trouvé que la logique de la Guinée n’est pas pour autant répréhensible .
Je voudrais souligner ici que, suite à des activités menées par notre organisation aux fins d’accompagner notre pays dans ce processus, nous avons appris que le retard pris par la Guinée est justifié par la volonté de nos autorités de mieux se préparer pour bien et mieux faire.
En effet, conscientes de la complexité de la tâche qu’est la promotion de la Santé chez nous, les décideurs politiques estiment que, se précipiter pour ratifier et ne rien faire pour la mise en œuvre effective d’une loi, ne serait pas une méthode gagnante.
Elles ont choisi, disent-elles , de prendre toutes les dispositions qui s’imposent pour ne pas conduire un texte ratifié aussi important dans un tiroir , créer un mort-né.
Pour notre part, nous croyons que la ratification est un préalable et serait une avancée majeure et confirmerait la volonté politique dont les autorités se prévalent.
Nos efforts se poursuivront, en collaboration avec les organisations de la société civile en Guinée et d’ailleurs pour que la Guinée, dans un proche avenir, puisse rejoindre la classe des pays qui ont ratifié la C.C.L.A.T. et prêts, surtout , à œuvrer pour sa mise en œuvre effective.
Aux dernières nouvelles, nous avons appris que la Guinée ne tardera pas de ratifier la C.C.L.A.T.
Nos efforts se poursuivent et nous vous tiendrons au courant le moment venu.
Q4. Pouvez-vous nous expliquer votre engagement local (FOGUIRET) et votre participation dans le cadre de la CPEACT dont vous êtes maintenant Présidente?
Dr Thierno Fatoumata Oury Diallo: Comme je vous le disais en introduction, je suis Pharmacienne de formation et j’ai de multiples responsabilités , de haut niveau, dans mon pays et sur le plan international, tant dans la fonction publique, l’Université et la Société civile.
À ce titre, j’ ai contribué à la création d’une organisation non gouvernementale de lutte contre la drogue et la toxicomanie, y compris l’alcoolisme et le tabagisme, axée sur des stratégies de prévention, de traitement et de réinsertion , dénommée Fondation Guinéenne pour la Recherche sur la Toxicomanie « FOGUIRET ».
J’en suis la Présidente depuis le 6 Janvier 1997.
Cette institution est un cadre de concertation pluridisciplinaire de recherche et de vulgarisation de résultats. Elle est opérationnelle sur le terrain en partenariat avec le Département Pharmacie de l’Université de Conakry et voici quelques recherches réalisées:
-Etude de la consommation du tabac dans la région administrative de Labé 2000-2002.
Enquête sur la consommation de drogue à Conakry : fréquence ; raisons, impact social et solutions 1999 - 2002.
Drogues et toxicomanie en Guinée : Étude rétrospective de 1995 à 1998 (1999– 2001)
Les Boissons alcoolisées vendues à Conakry : Aspects réglementaire, socio économique et sanitaire 1997-2000
Les conséquences socio économiques et sanitaires de la consommation des Benzodiazépines vendues dans les marchés de Conakry (1997-1999)
Séro prévalence du VIH/SIDA chez les toxicomanes hospitalisés au service de Neuro psychiatrie du CHU de Donka (1996-1998)
Drogue et toxicomanie en Guinée : étude rétrospective et retombées socio économiques : période de 1994 à 1996, et d’autres.
Je puis vous affirmer que toutes ces recherches sont disponibles et ont fait l’objet de conférences scientifiques de restitution officielle, organisées par la FOGUIRET en collaboration avec tous les partenaires techniques (Départements Ministériels , ONGs Nationales et Internationales opérant en Guinée, les Institutions Internationales Résidentes , les Représentations Diplomatiques, les Leaders Religieux et d’opinion communautaires, les structures scolaires et universitaires, les associations et groupements du secteur informel….) et le Département Pharmacie de l’Université de Conakry.
Experte en ma matière auprès d’institutions d’envergure internationale, je ne souffre pas de mettre mes connaissances à la disposition de ma patrie, de mon continent et de l’humanité.
La FOGUIRET a participé activement aux différentes étapes de l’amendement de la C C L A T auprès du Ministère de la Santé Publique de la Guinée.
Pour ce qui est de mes responsabilités à la tête de la C.P.E.A.C.T rebaptisée depuis peu « IMPACT », INITIATIVE DE MOBILISATION PANAFRICAINE DE CONTRÔLE DE TABAC, je dirai que je me trouve dans la peau d’humble serviteur pour une cause noble pour l’Afrique.
En effet, j’ai découvert l’I.M.P.A.C.T., il y a presque 2 ans, par le biais de notre actuel coordonnateur général Thomas Léro TCHASSAO , que j’ai connu en Mai 2000 à Conakry lors d’une conférence internationale organisée par l’Union Internationale contre la Tuberculose et les Maladies Respiratoires.
Quand j’ai choisi de me joindre au rang de l’IMPACT, mon souci était de partager ma petite expérience pour donner un autre souffle, une dynamique nouvelle, bref, une autre dimension à la lutte antitabac.
Comme nous le disons , souvent à l’IMPACT, il s’agissait d’ÉLEVER LA LUTTE ANTI-TABAC AU NIVEAU DE L’EXCELLENCE AFRICAINE.
A l’IMPACT, notre secret se trouve dans le désir de travailler en réseau .
On ne le dira jamais assez, aucune organisation ne peut , toute seule, prétendre bouter hors d’Afrique l’industrie du tabac, il faut impérativement la force du groupe.
Par ailleurs, nous pensons que s’il est important de consolider l’activisme en Afrique, l’on a aussi l’obligation de se doter de structures scientifiques pouvant aider l’Afrique à mieux définir la problématique.
Tout le monde ne peut pas faire de l’activisme et tout le monde ne peut non plus être chercheur. Créer une synergie entre les deux impératifs ne peut donner que des résultats fiables. C’est aussi ça la vision de l’IMPACT .
Enfin,
comme vous le savez, en Afrique, la responsabilité de MAMAN
est fondamentale.
C'est plus en tant que mère que mes collègues m’ont élu comme Présidente et je l’assume avec plaisir et conviction. Et surtout avec un cœur de mére.
Q5. La Guinée est actuellement le lieu d'une agitation sociale intense, grèves, manifestations, mini-rebellion militaire. Est-il possible de, dans de telles conditions de lutter contre le tabagisme? Alors que tant d'autres questions paraissent plus urgentes?
Dr Thierno Fatoumata Oury Diallo: Effectivement , la Guinée a connu des moments difficiles, des agitations sociales qui ont conduit à la nomination d’un nouveau Premier Ministre.
Toutefois, je voudrais préciser que ce n’était pas une période de guerre comme ce fût au Libéria, en Sierra Léone ou au Liban…etc…
Aujourd’hui, le train semble avoir repris les rails. Tout le monde vaque à ses occupations dans la mesure du possible. Le pays se fait une peau neuve et aucun secteur ne doit être négligé. C’est dans cette logique que la question de la santé de la population doit être la priorité des priorités.
À mon point de vue, la lutte antitabac ne fait pas bande à part quand on soulève la question de la santé publique en Afrique.
Elle fait partie intégrante. C’est pour cela que rien ne peut justifier qu’on relègue au second plan la lutte antitabac. Je m’en prends à ceux qui , dans un esprit dont je ne saurai décrire ici, pensent que la lutte antitabac est un luxe pour l’Afrique.
Je dis et je le repète , UNE VIE EST UNE VIE….. et le tabac est dangeureux pour n’importe quelle vie où qu’elle se trouve. Ce n’est pas du tout difficile à comprendre.
Personne n’a le droit de vendre le poison silencieux aux autres et s’enrichir sur leur mort; aucune loi ne cautionne cela dans le monde. C’est clair.
Q6. Y-a-t-il quelque chose que vous souhaitez ajouter?
Dr Thierno Fatoumata Oury Diallo: OUI ….Peu à peu, l’IMPACT est en train de bâtir un réseau fort, composé de personnes dont l’expérience n’est plus à démontrer. Mais, permettez- moi de souligner que, ceux pour qui j’éprouve le plus d’admiration, ce sont ces jeunes filles et garçons , intelligents (es), hyper dynamiques, pleins de bonne volonté qui s’investissent volontairement et bénévolement, pour que notre action commune puisse avoir un impact réel sur notre continent. Certains ont eu la chance de les rencontrer lors de la COP 2 à Bangkok en Thailande. Vous avez pu mesurer leur compétence et leur détermination.
Je ne pourrai ignorer la contribtion particulière de notre Coordonnateur Général Thomas Léro TCHASSAO, dont la détermination et la conviction font de l’IMPACT ce qu’elle est, après juste 3 ans de vie.
Cela est irréfutable, l’IMPACT est le plus grand et le plus large réseau de personnes ( physiques et morales) sur le continent africain en matière de lutte antitabac.
Cela mérite d’être encouragé et soutenu.
Faire semblant de l’ignorer est une manière de placer le plomb dans l’aile de la lutte anti-tabac en Afrique.
En ma qualité de Présidente de l’IMPACT, je tiens à remercier très sincèrement toutes les bonnes volontés qui poussent vers le succès notre initiative. Elle est un creuset pour toutes les africaines et tous les africains et tous ceux qui ont à cœur la cause de l’Afrique, assiégée par l’industrie du Tabac.
Enfin, l’IMPACT annoncera ces jours-ci son programme d’action pour le deuxième semestre 2007 et nous vous invitons à vous joindre à nous , d’une manière ou d’une autre pour donner un coup de pouce à la lutte anti-tabac sur notre chère continent.
Retenez-le, vous aurez saisi la chance unique de travailler efficacement au cœur de l’Afrique.
Philippe Boucher: Merci Dr Diallo d'avoir pris le temps de répondre à nos questions.